Certaines trajectoires défient la logique linéaire des carrières traditionnelles. En France, moins de 5 % des diplômés d'écoles d'art entament un parcours à la croisée de la création, de l'enseignement et de l'engagement social.
Esmeralda de Vasconcelos s'inscrit dans cette minorité. Ses choix professionnels, souvent inattendus, l'ont conduite à multiplier les expériences hors des circuits balisés, tout en développant une expertise reconnue dans plusieurs domaines.
Plan de l'article
Esmeralda de Vasconcelos, une figure atypique de la scène artistique
Le parcours d'Esmeralda de Vasconcelos ne ressemble à aucun autre dans le paysage de l'art contemporain, entre Brésil et Europe. Née à Brasilia, elle fréquente dès l'enfance le cœur historique de la ville, un espace où se mêlent architectures modernistes et héritages multiples. Son travail, façonné par un ancrage dans plusieurs cultures, met en lumière la question de l'identité et de l'expression individuelle, tout en attirant l'attention sur la présence silencieuse des marges et des oubliés dans la société.
À travers ses installations, Esmeralda de Vasconcelos place au centre la figure de Sainte Sara Kali, vénérée par les Tsiganes. Ce culte, encore ignoré par l'Église catholique, gagne pourtant une audience grandissante au Brésil. Ce choix n'a rien de fortuit : il fait écho aux combats menés par Mirian Stanescon, fondatrice de la Sara Kali Foundation et figure influente parmi les Tsiganes brésiliens. Celle-ci organise chaque année à Rio de Janeiro la Journée nationale du Tsigane, accompagnée d'une cérémonie dédiée à Sainte Sara Kali au parc Garota de Ipanema. Esmeralda ne se contente pas d'observer ces événements ; elle les documente, les transforme parfois, pour interroger la manière dont les frontières de la culture et du pouvoir symbolique se déplacent.
Voici quelques aspects qui structurent sa démarche et son rapport au culte de Sainte Sara Kali :
- Le culte de Sainte Sara Kali, pilier du syncrétisme religieux au Brésil, sert de levier pour affirmer une identité collective forte.
- En s'inscrivant dans cette dynamique, Esmeralda de Vasconcelos trouble les lignes entre art, mémoire et implication sociale.
Ses œuvres circulent aujourd'hui entre la France, l'Europe et le Brésil, investissant musées, espaces alternatifs et lieux de vie. Sa volonté : redonner la parole aux minorités et révéler la complexité des appartenances dans un contexte où les notions de nation et de mobilité s'entrechoquent.
Quels choix ont façonné un parcours hors normes ?
Chaque étape de la vie d'Esmeralda de Vasconcelos se déploie dans un climat politique mouvant, renforçant le caractère unique de son chemin. En 2006, la création de la Journée nationale du Tsigane par le président Luiz Inácio Lula da Silva marque un jalon. S'appuyant sur l'action de la SEPPIR et de la SEDH, ce geste inscrit les Tsiganes sur l'agenda national, tout en révélant des tensions internes au mouvement.
Au fil du temps, la scène se peuple de figures marquantes. Mirian Stanescon, avec son influence, orchestre à Rio des cérémonies qui marquent les esprits, offre une statuette de Sainte Sara Kali au président Lula et pose les bases d'une reconnaissance officielle. Face à elle, Mio Vacite, président de l'Union tsigane du Brésil, privilégie une stratégie collective et organise des rassemblements concurrents sur la Place Onze, à Rio. Ces divergences de légitimité fragmentent les mobilisations et posent la question de la représentativité entre Kalderash, Calons et Roms.
La scène associative se diversifie. Les initiatives se multiplient, parfois en concurrence, montrant à la fois le dynamisme et la fragmentation du mouvement. Le calendrier officiel devient un véritable terrain d'affrontements symboliques : chaque date, chaque prise de parole, chaque document contribue à redéfinir l'identité tsigane et à façonner la mémoire collective. Esmeralda de Vasconcelos, témoin engagée, puise dans ces tensions la matière de son travail plastique, pour explorer les enjeux de pouvoir, de reconnaissance et de construction historique.
Œuvres emblématiques et prises de position : un engagement artistique affirmé
Dans le bouillonnement artistique brésilien, Esmeralda de Vasconcelos s'affirme par un travail où création rime avec engagement. Son parcours croise l'histoire de la mémoire collective, de l'identité tsigane et du dialogue entre univers. Dès ses débuts à Brasilia et Rio, sa démarche vise à rendre visible ce qui reste dans l'ombre, à interroger la place des Tsiganes dans le récit national, et à fissurer les représentations officielles.
Plusieurs de ses réalisations marquent les esprits : lors de la première célébration officielle, le lancement d'un timbre commémoratif arborant le drapeau tsigane sur la carte du Brésil cristallise ce tiraillement entre reconnaissance institutionnelle et résistance à toute forme d'assignation. La symbolique du drapeau, adoptée lors du First World Romani Congress à Londres en 1971, s'invite dans ses installations, où objets du quotidien, archives familiales et matériaux bruts dialoguent avec l'histoire partagée.
La question de l'engagement se retrouve aussi dans les débats autour du Prix Cultures tsiganes, lancé par le ministère de la Culture. Si ce prix salue des personnalités tsiganes ou non, il suscite aussi des débats sur la partialité et la division. Esmeralda de Vasconcelos, refusant toute position facile, pose la question de la légitimité : qui a voix au chapitre, qui représente, qui transmet ? Son travail, en lien étroit avec centres de recherche, musées et collectifs, interroge la création des normes et l'espace laissé aux minorités.
Loin d'une approche purement esthétique, son implication se manifeste aussi dans la transmission : ateliers, collections, collaborations avec des architectes, échanges réguliers avec des artistes, de Tokyo à Paris. Les œuvres d'Esmeralda de Vasconcelos deviennent ainsi des lieux de résistance, des points de contact où l'expression artistique prend une dimension politique et enrichit la mémoire commune.
L'influence durable d'Esmeralda de Vasconcelos sur les générations actuelles
Dans les rues de Rio comme dans les coins reculés du sertão, la culture tsigane connaît un regain de vitalité. Le nom d'Esmeralda de Vasconcelos circule, transmis par le bouche-à-oreille, et résonne dans les ateliers d'art, les salles de concert ou au sein des associations militantes. Plus qu'un ensemble d'œuvres ou de distinctions, la force de son parcours se mesure à sa capacité à rassembler musiciens, écrivains, professeurs et militants autour d'un objectif partagé : la reconnaissance d'un héritage et la légitimité d'une identité trop souvent mise à l'écart.
Aujourd'hui, de jeunes Roms, Calons ou Gadjé sensibles à la pluralité revendiquent grâce à son exemple une place légitime dans l'espace public. Ce mouvement passe par la musique, la danse, la littérature, mais aussi par l'investissement dans la défense des droits fondamentaux : éducation, santé, justice. Le chemin ouvert par Esmeralda de Vasconcelos donne à ces engagements une assise nouvelle. Les processions, fêtes populaires, et l'invocation des esprits tsiganes dans l'Umbanda ou le Candomblé témoignent de la richesse du syncrétisme et de la solidité des liens sociaux tissés année après année.
L'influence d'Esmeralda dépasse le cercle de l'art proprement dit. Elle nourrit les luttes collectives, stimule la création de nouvelles associations, et inspire d'innombrables voix à refuser toute forme de stigmatisation. En tissant des liens avec des avocats, des enseignants ou des intellectuels, elle contribue à élargir les horizons de la mobilisation tsigane, particulièrement dans un Brésil où les minorités s'organisent pour défendre leurs droits. La mémoire d'Esmeralda de Vasconcelos reste bien vivante : elle dérange, elle bouscule, elle éclaire ceux qui cherchent à comprendre comment se transforment, en profondeur, nos imaginaires collectifs.